Je me souviens bien, je venais de terrasser la manticore au bouclier rouge. La Reine Aliénor aux dix-huit tétons était entrain de me remettre en récompense un camembert (une nourriture mythologique). Alors qu'elle se passait gentiment le fromage entre ces appendices mammaires en signe de bénédiction, la foule était en liesse, c'était le sommet de mon triomphe. Je senti soudainement un poids sur ma poitrine, un poids velu :
<<Miaou !
Putain de greffier ! On peut pas faire la grasse matiné jusqu'à, au moins, cinq heure et demi ?! Je suis sûr que si on n'avait pas eu l'idée baroque de lui couper les couilles, il serait ailleurs, occupé à d'autres malversation...
Enfin, je sais bien qu'il ne va pas lâcher l'affaire. Si je ne veux pas que ma femme se réveil pour ajouter de la râlerie à la râlerie, faut que je me dépêche. Petit enfoiré, un jour j'en ferai un sac-à-main.
Il y a tout de même un avantage, avant l'aube c'est le seul moment où la température est agréable dans ce pays maudit. Ma femme, toujours agréable, s'est fait une lubie de me faire des bretzels histoire de me consoler de mon Alsace perdue. Heureusement elle les fait très bien.
Je vois le soleil se lever, ça va être le moment d'aller, une fois encore, porter des tubes en PVC avec mes chers collèges. Ceux qui, à défaut d'avoir jamais su apprendre à écrire, ont développé une maestria au chat-bite (gato-pinto, pour la version locale) autour des trente-cinq/quarante ans. Autant vous dire que même au lycée, je n'avais pas l'impression d'être autant au lycée. A la différence que là, il n'y a pas de pauses chichon, de parties de tarot et de jeunes fille nouvellement nubiles fascinées par mon large vocabulaire et mon intérêt pour les sexualités orientales. Là, il n'y a que des vieux, gros, sans existence, sans passé et sans avenir. C'est très bien pour eux les quarante-quatre heures, de toute façon ils n'ont rien d’intéressant à faire, ce ne sont rien de plus que des bêtes.
Au déjeuner, devant mon éternelle assiette de riz-haricot-poulet-au-chlore sans saveur et saturé de sel, je préfère repenser au camembert amoureusement repassé sur les formes de la reine Aliénor aux dix-huit tétons. Ce nom peut vous intriguer, sachez que la reine n'est pas un monstre mais la souveraine d'un royaume gynécochratique.
La Reine est servie par un groupe de huit suivantes aux corps sans default dont la mission est de procréer sans arrêt en son nom. A ce titre, ces huit suivantes ouvrent leurs couches aux plus beaux reproducteurs du royaume, les plus valeureux, les plus forts et surtout les plus prompts à se dresser face au danger. Quand j'y pense, d'ailleurs, dans tout le royaume, on a jamais vu de vieillards ou d'impotents, pourtant les lois de la nature s'y appliquent comme partout...
Je suis le pourfendeur de la grande manticore au bouclier rouge, l'esclavagiste, la grande destructrice de peuple. Au titre de plus grand sauveur de l'humanité, je dois me préparer à un séjour avec Aliénor, la sublime des sublimes, et toute sa suite. Mon corps sera mis à rude épreuve, il est impératif que ma lignée soit nombreuse et éternelle pour protéger à tout jamais le royaume contre la manticore au bouclier rouge et ses sbires.
La cloche sonne, je me réveil, je me suis encore endormi à même le sol en béton, sans m'en rendre compte. Cela fait des semaines que je suis totalement épuisé, aussi bien moralement que physiquement. Je m'endors, plutôt je tombe dans l'inconscience, à la moindre minute d'inactivité, particulièrement après les repas, mais même au travail, en plein milieu de l'usine. Je suis à bout mais je ne craque pas. Je continu car je n'ai pas le choix. Une fois qu'on arrive au bout de l'énergie, on se rend compte que c'est un puits sans fond, qu'on peut toujours pousser sa carcasse un mètre plus loin. C'est comme ça qu'on tient. Le soir, l'alcool compense. Je retourne au travail, c'est une après-midi comme toutes les autres. Je fixe l'horloge, je m'accroche à toute avancée, cinq minutes, puis cinq minutes...
La journée se finit bonnant-mallant. Il me reste à parcourir trente kilomètres pour rentrer. Trente kilomètres sur de la route médiocre, debout dans un bus bondé, une vrai étuve.
Je retrouve ma femme, elle aussi est fatiguée. Je me douche. Elle me sert le repas qu'elle m'a préparé. On passe un peu de temps, on tente d'évite les sujets qui fâchent. C'est l'heure d'aller dormir sous la moustiquaire avec les deux ventilateurs. J'aimerais bien bander mais ça fait des semaines que je n'y arrive plus. Je tombe comme une masse de toute façon.
Je retourne auprès d'Aliénor et ses suivantes. Il faut que je vous raconte comment j'ai vaincu la manticore au bouclier rouge. Ça ne s'est pas passé soudainement à coup d'épée. Je ne suis pas un guerrier mais un poète.
Il faut que je vous raconte comment j'au vaincu la manticore au bouclier rouge. C'est une histoire qui vous concerne, une histoire que vous devez connaître.
#Prolotype